Regardez-les dans les yeux et aidez-nous à leur redonner confiance. Laudy et Jean n’ont pas pu payer leur loyer depuis neuf mois. La seule option qui leur reste est l’itinérance. Nous ne pouvons pas – et ne voulons pas – les ignorer.
Nous avons rencontré Laudy et Jean il y a trois ans, à une époque où le monde suivait des règles inhumaines. Les câlins étaient interdits, les sourires et les larmes devaient être cachés sous des masques jetables. Heureusement, il était encore possible de regarder les gens dans les yeux. À l’époque, nous sommes tombés sous le regard de Laudy et Jean comme dans un puits profond. Il reflétait la tristesse et la peur de personnes comptant chaque centime, mais aussi la chaleur de quelqu’un qui peut encore trouver de la joie dans une tasse de café partagée avec des invités.
Jean nous accueille dans les escaliers menant à leur immeuble. Il craint que nous ne puissions pas les trouver dans le labyrinthe de béton de Jounieh. Il se tient près de la rampe, vêtu d’une chemise et d’un pantalon soigneusement repassés, et nous fait entrer. L’appartement est modeste et minuscule. Il respire la dignité. Tout est à sa place, et la cuisine, le royaume de Laudy, brille comme un joyau précieux. Elle cuisine peu car le réfrigérateur est vide. Elle aimerait nous préparer son plat signature, mais se contente de nous offrir une gelée de fruits. Tout est propre et simple. Magnifique. Seuls les yeux de Laudy et Jean révèlent que quelque chose ne va pas.
Jean devient sérieux. Ses doigts jouent nerveusement avec le bord de sa chemise repassée. Laudy baisse les yeux, cherchant une cuillère, essayant de remuer dans une tasse déjà vide. Finalement, une phrase tombe. Ils la posent sur la table comme une pierre :
« Nous n’avons pas payé le loyer depuis neuf mois. »
Ils ne le disent pas avec honte, mais avec la résignation de personnes dont la vie est rythmée par les crises. Le Liban a depuis longtemps cessé d’être un pays où l’on peut planifier l’avenir. Ici, un hôpital est un luxe, et l’électricité et l’eau sont des denrées rationnées. Des décennies de tensions et de guerre, suivies d’un effondrement soudain de la monnaie, du gel des économies des gens par les banques et d’une inflation qui a réduit du jour au lendemain la valeur des pièces de monnaie à néant.
Ils se confient au docteur Elias, même si leur impuissance les contraint encore. Ils lui font confiance. Il leur apporte régulièrement des médicaments et de la nourriture et les aide à chauffer leur appartement en hiver. Le loyer mensuel est de 200 dollars. En neuf mois, la dette s’est élevée à 1 800 dollars. Le docteur Elias explique qu’à un tel prix, nous ne trouverons pas de deuxième appartement dans cette partie du Liban. Si le propriétaire finit par perdre patience et les expulse, ils se retrouveront à la rue. Nous devons les aider. Ils n’ont personne d’autre. Avant de partir, nous leur promettons qu’ils ne seront pas laissés seuls. Nous ne pouvons pas les condamner à l’incertitude un instant de plus.
La propreté et l’ordre qui règnent dans l’appartement de Jean et Laudy ne sont pas seulement une question d’esthétique. C’est une rébellion contre le chaos qui s’est insinué dans leur vie depuis des années. Aidez-les, s’il vous plaît. Il ne s’agit pas seulement de loyer. Il s’agit de la dignité de personnes qui ont vu leurs économies volées par la crise et qui, sans aucune faute de leur part, se retrouvent aujourd’hui au bord du sans-abrisme.